Internet et journalisme citoyen au Maroc

Thibault et Olivier ont réalisé un reportage sur l’émergence d’un journalisme citoyen sur internet. Alors que
le nombre de marocains connecté augmente très rapidement et que de plus en plus
de jeunes se pressent dans les cafés internet, ils ont voulu découvrir le visage de cette nouvelle liberté d’expression des marocains. Ils se sont rendus dans les locaux de Selwane TV, une petite télévision sur internet de la ville de Salé, et à Casablanca, ils ont rencontré l’un des premiers bloggers,

Des photos et des souvenirs

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Leila Akhmisse, de Zakoura Microcrédit à Casablanca

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Radia devant sa petite entreprise de couture.

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Aïcha et son mari à Madinati, des logements sociaux

L’Enfance de l’art

Faire vivre des villes où il ne se passe jamais rien. Donner à des enfants le goût et les moyens de l’expression. Telle est la double ambition du projet initié cette année par l’ambassade de France et le ministère de la culture marocain. Mahi Binebine, le peintre marocain dont la côte s’envole, a ainsi sillonné le Maroc en compagnie de l’écrivain camerounaise Véronique Tadjo, proposant dans plusieurs villes des ateliers d’écriture et de peinture à une cinquantaine d’enfants. Forte de son succès, l’aventure se prolonge aujourd’hui avec les écrivains Hmoudan et N’sondé.

Anne-Laure Buffard.

Tanger, capitale du livre

En février, les salons du livre se suivent mais ne se ressemblent pas au Maroc. Quand Casablanca « l’économique » incarne la dimension résolument commerciale du salon, Tanger « la littéraire » veut en faire davantage : un lieu dédié aux rencontres et au plaisir des idées. Une expérience plutôt nouvelle pour le public marocain, même si l’aventure née en 1997 dans la cour de l’Institut français du Nord gagne chaque année en popularité.
A cet égard, l’édition 2008 voit grand. Nouveau cadre d’abord : le beau palais Moulay Hafid, réouvert au public après dix ans de rénovation. Nouveau visage ensuite, celui de son nouveau commissaire Omar Berrada, jeune marocain installé en France et touche-à-tout surdoué, polytechnicien reconverti dans la traduction et la critique. L’arrivée de ce personnage insaisissable à la tête du salon illustre l’émergence d’une nouvelle génération d’intellectuels marocains talentueuse et décomplexée.
C’est à lui que l’on doit le thème des « identités fugitives », emprunté pour l’occasion à l’écrivain marocain Abdelfattah Kilito. A la fois littéraire et politique, il sera, du 27 février au 2 mars, au coeur des conférences et des débats qui rassembleront notamment l’historien Cheddadi Abdesselam, l’islamologue Rachid Benzine ou l’écrivain Larbi El-Harti sur des sujets tels que « les langues de la littérature marocaine » ou « écriture et immigration ». La programmation nocturne est tout aussi ambitieuse avec vernissage, concert, représentation et lecture de poésie.
Un événement culturel et festif donc, où l’identité marocaine se conjugue au pluriel pour rappeler que, à l’instar de l’interprétation littéraire, elle ne saurait être figée ou définitive, mais sans cesse à réinventer.

Anne-Laure Buffard pour l’Express

Moudawana

Assise sur une table du centre Annajda (Au secours), Zahra Ouardi, secrétaire générale de la section Casablanca de l’Union pour l’action féminine (UAF), passe en revue les améliorations apportées en 2004 par la révision du Code de la famille. Les femmes peuvent divorcer, l’âge légal du mariage pour les filles est passé à 18 ans, la polygamie est devenue quasi impossible… En théorie, des changements d’une réelle portée. En pratique cependant, les femmes qui demandent le divorce doivent suivre un véritable parcours du combattant. « Et même quand le tribunal rend le jugement, il est difficile de le faire appliquer ».
Elles sont, du coup, nombreuses à faire appel à des associations telles que l’UAF. Aujourd’hui, les centres Annadja reçoivent 30 à 35 femmes par jour, contre 10 à 20 il y a quatre ans, avant la réforme du code. Sur place, des bénévoles accueillent, soignent, conseillent et forment. Elles assistent les femmes dans toutes leurs démarches et les préparent aussi à une vie après le divorce, en leur enseignant la couture, la coiffure, voire l’informatique.
« C’est grâce à la société civile que la moudawana (Code de la famille) a été réformée et aujourd’hui, elle veille à son application » dit Fatima El Maghnaoui, vice-présidente de l’UAF. Car pour que les femmes puissent faire respecter leurs droits, encore faut-il qu’elles les connaissent et qu’elles les comprennent. Alors l’UAF donne des cours d’alphabétisation et d’information juridique, en même temps qu’elle organise des campagnes de sensibilisation dans les écoles. Elle se dit étonnée des réactions des élèves, pour la plupart défavorables à la moudawana. « Les intégristes, déplore-t-elle, ont labouré le terrain dans les écoles et les écoles. Or celles-ci sont un outil primordial de sensibilisation. »
Au lendemain du vote de la nouvelle loi, Zahra Ouardi avait été choisie pour faire partie d’une délégation du ministère de l’Education nationale, chargée de mener une campagne d’explication dans les établissements scolaires. Le programme comprenait des visites aux écoles, des réunions avec les élèves, la distribution de circulaires. Elle se souvient encore d’une discussion houleuse qu’elle avait eue avec le directeur de cette délégation. « Que de moyens déployés uniquement pour parler des droits des femmes et des enfants, c’est  exagéré! » avait-il lancé, en refusant de distribuer les documents pourtant fournis par son administration.
Analphabétisme, intégrisme, pauvreté, autant de freins à l’application de la loi. « Les droits de la femme ou de l’enfant n’intéressent guère les gens pauvres. Eux sont dans des situations d’urgence, ils ont d’abord besoin de manger », explique Zahra Ouardi. Dans la pratique, la pauvreté empêche parfois les ex-maris de payer une pension à leur ex-femme. « Ils préfèrent aller en prison que de payer. Il faudrait que l’Etat crée une pension pour ces femmes car qui dit pauvreté dit situations précaires et enfants des rues; c’est un cercle vicieux ».
La prochaine étape pour l’association? « Nous allons continuer d’agir pour faire appliquer la nouvelle moudawana », affirme Fatima El Maghnaoui. « Il faut déjà parvenir à changer les mentalités sur tous ces points avant de pouvoir penser aborder les problèmes les plus délicats comme l’héritage. »

Cécile Dehesdin pour l’Express

Textile marocain, what else ?

« Au 1er janvier 2008, l’Union Européenne a définitivement mis fin à ses quotas d’importation de textile chinois. Signe d’un nouveau choc pour ce secteur au Maroc après celui de 2005 ? L’offre avait alors été ré-orientée sur des produits de niche exempts de la concurrence des économies émergentes. Aujourd’hui, les industriels du textile marocains assurent être préparés. Ils affirment être plus réactifs et pouvoir produire davantage et en plus petite quantité. Autre chance du royaume: sa proximité avec les commanditaires européens. Des atouts que Rabat espère assez convaincants pour amener certaines enseignes à imiter Zara qui a transféré toutes ses unités de production au Maroc.  »

Publié dans l‘Express

Quelle stratégie pour la Royal Air Maroc ?

Avec ses 1200 vols hebdomadaires, la Royal Air Maroc (RAM) reste un acteur important du transport aérien. Pour se développer, elle compte sur deux axes : l’Afrique et le low-cost vers l’Europe. Mais, alors qu’elle est confrontée à une concurrence accrue sur le marché européen, son monopole vers l’Afrique de l’Ouest est remis en question depuis peu.

Surprise le 30 octobre 2007 : après sept ans de gestion d’Air Sénégal International (ASI), la Royal Air Maroc (RAM) perd le contrôle de sa filiale. À l’occasion de la recapitalisation d’ASI, le gouvernement sénégalais a en effet décidé de reprendre le contrôle du capital d’une entreprise devenue très rentable après avoir été au seuil de la faillite. Si cette affaire est anecdotique pour le chiffre d’affaires de la RAM, elle affecte un des deux axes de développement de la compagnie marocaine. La compagnie aérienne du royaume comptait en effet faire d’Air Sénégal International le pilier de son expansion en Afrique de l’Ouest.
C’est dans ce cadre que la RAM avait aussi tenté des rapprochements plus ou moins fructueux avec d’autres compagnies nationales africaines comme Air Mauritanie ou Air Gabon. Après la crise du 30 octobre, c’est une partie de cette stratégie qui pourrait être remise en cause. Driss Benhima, le Directeur Général de la RAM, assure pourtant « que l’Afrique reste au cœur de la stratégie de la compagnie». Pour preuve, l’accord de services aériens signé fin novembre 2007 entre la RAM et Air Madagascar.
Tous ces partenariats ont un objectif : faire de l’aéroport Mohammed V de Casablanca le hub de tout le continent. «Nous voulons porter la part de notre trafic international qui transite via Casablanca à plus de 40% d’ici à fin 2008 contre 5% en 2001», affirme Driss Benhima. Les voyageurs transportés par ASI devaient ainsi souvent faire escale à Casablanca lorsqu’ils étaient en partance pour l’Amérique du Nord.
Pour autant, la RAM ne délaisse pas l’Europe qui génère une grande part de son chiffre d’affaires. Et dans cette zone, son développement passe par un mot, le low-cost, et la création d’une filiale Atlas Blue pour tenter de concurrencer les compagnies européennes. «Atlas Blue a aujourd’hui une part de marché qui dépasse les 30% du trafic touristique vers le Maroc», souligne Driss Benhima. Initialement, la compagnie a pourtant été lancée en ponctionnant la flotte de la maison mère. Ce qui avait «affaibli la RAM en lui faisant directement concurrence», tempère Bachir Thiam, journaliste spécialiste du dossier à l’Économiste.
Aujourd’hui, c’est bien le low cost qui peut lui permettre de faire face à la concurrence générée par l’accord ciel ouvert conclu entre le Maroc et l’Union Européenne. Depuis son entrée en vigueur en 2005, quinze nouvelles compagnies européennes se posent régulièrement au Maroc. Easyjet, Ryanair et surtout Jet4you, au capital germano-marocain visent, grâce à leur politique de prix cassés, à augmenter leurs parts de marché… tout comme Atlas Blue. La compagnie continue donc à investir pour tenter de rester concurrentielle: 10 avions de nouvelle génération ont été commandés à Boeing. La livraison est prévue pour 2012. La flotte d’Atlas Blue passera alors à 24 appareils.
Malgré ses incertitudes sur sa stratégie de développement, la Royal Air Maroc reste une affaire profitable surtout en raison de sa situation de quasi-monopole dans le ciel marocain. Avec 43 avions, elle est pourtant une compagnie de taille moyenne face aux géants européens. Pourra-t-elle dès lors échapper longtemps aux regroupements qui ont lieu sur le vieux continent ? Pour l’heure, Driss Benhima se veut confiant et évoque « des partages de code avec de nombreuses compagnies européennes». Toute la question est de savoir si cela sera suffisant.

Jean-Baptiste Chastand et Sujatha Samy-Randy

« En finir avec l’’impunité »

Corruption au Maroc/ Interview d’Azzedine Akesbi de Transparency Maroc.

Pour le Secrétaire de Transparency Maroc, Azzedine Akesbi, la lutte contre la corruption passe par une réforme de la justice.

Quelle est la situation du Royaume aujourd’hui en matière de corruption ?

Le Maroc connaît, comme beaucoup de pays de la région, une corruption endémique dans tous les secteurs. La situation s’est beaucoup dégradée depuis 1999, année où l’Indice de la perception de la corruption a été crée pour noter les pays. Le Maroc a alors obtenu une note de 4,2 sur 10 (le niveau de transparence et d’’intégrité se situe autour de 8 ou 9), tombé à 3,2 en 2006. On enregistre cependant une légère amélioration aujourd’hui. Avec un indice de 3,5 en 2007, le Maroc est passé de la 78ème place dans le monde à la 72eme. En 2006, 60% des chefs de ménages déclarent néanmoins avoir dû payer un bakchich une fois dans les douze mois écoulés.

Comment se traduit concrètement la corruption?


A tous les niveaux. A l’hôpital par exemple, le certificat d’indigence donne aux populations pauvres le droit à des prestations gratuites. En pratique, elles doivent souvent payer des intermédiaires pour en bénéficier. C’est la
même chose dans le secteur de la justice, bien qu’il existe des juges intègres. Des avocats de Tétouan ont été sanctionnés pour avoir dénoncé ces pratiques. C’est d’autant plus problématique que la justice constitue le dernier recours des citoyens. Dans la mesure où les Marocains ne voient pas de changement concret et sont obligés de payer, sur la route ou aux guichets de l’’administration, ils pensent ne pouvoir s’en sortir qu’en se pliant à la règle
du bakchich.

Que fait le gouvernement pour lutter contre ce phénomène ?


Le pouvoir a reconnu le problème mais tarde à agir. Lors des élections législatives de septembre, presque tous les partis politiques ont reconnu l’’existence d’une corruption par l’argent et ont intégré dans leurs programmes
des mesures pour la combattre. Nous attendons que ce consensus se traduise par une politique effective des autorités . En juillet 2007, Transparency a salué l’’adoption par le Maroc d’un texte pour la création d’une instance centrale de
prévention de la corruption. Elle devait être installée fin juillet. Nous l’’attendons toujours.

Quelles sont les recommandations de Transparency Maroc ?


La réforme de la justice est primordiale. Afin de garantir son indépendance et son efficacité, l’Etat doit renoncer à exercer un contrôle sur la justice et lui donner plus de moyens, notamment pour faire appliquer la loi. Il faut, en
outre, en finir acec l’impunité et rendre effectives les institutions de contrôle : la Cour des Comptes, l’Inspection générale des finances. Ces institutions font peut-être de bons rapports, mais ils restent sans suite. Ce
ne sont pas les propositions qui manquent, mais la volonté de les mettre en oeuvre.


Transparency International se présente comme la « principale organisation de la société civile qui se consacre à la lutte contre la corruption ». Créée en 1993par Peter Eigen, ancien Directeur de la Banque Mondiale, elle
est aujourd’hui présente dans plus de 90 pays. Transparency International élabore à la fois un Indice de Perception de la Corruption (IPC) ainsi que des recommandations pour la combattre. Née en 1996, Transparency Maroc collabore
avec l’’ONG internationale mais dispose d’une structure autonome. Son siège se trouve à Casablanca. Elle a été reconnue officiellement en 2004 par les autorités marocaines.

Propos recueillis par Jérôme Lefilliâtre et Amira Souilem. (Interview parue dans l’’Express International du 3 au 9 janvier 2008.)

Sanaa El Aji

Sanaa El Aji est journaliste à Nichane, la version arabophone de l’hebdomadaire marocain Tel Quel, un hebdo politique fière de don indépendance viv-à-vis de la Monarchie. Elle nous donne son point de vue sur la place des femmes dans les rédactions marocaines.

Vous êtes une femme journaliste dans un Maroc qui se libéralise, est ce que cela se traduit par une féminisation des rédactions ?


Oui, sur ces vingt dernières années, parallèlement à l’évolution des droits de la femme grâce à la « Moudawana » (nouveau code la famille depuis 2004), les femmes ont fait leur entrée dans les rédactions. Ma génération en a connue plus que celle de ma mère, mais depuis longtemps il y a eu des journalistes qui ont su briller dans des rédactions très masculines. Nadia Sahla à l’Economiste, Samira Sitaïl à 2M, des noms qu’on entend beaucoup dans les sphères médiatiques.

Etes-vous une journaliste, au même titre que les hommes ?


Je n’écris pas mes articles avec mes organes génitaux. Je n’aime pas beaucoup le clivage homme-femme. On n’a pas à stigmatiser une journaliste parce que c’est une femme. Tout dépend de son ambition personnelle. Etre journaliste suppose des compétences qui ne sont pas déterminées par le sexe. Les difficultés que je peux rencontrer viennent de la conformité sociale très présente au Maroc. Je rencontre des femmes, qui ont tendance à s’auto-censurer et à écrire des sujets passe-partout, sans s’impliquer dans des reportages de fond. Au Maroc, une femme a beau réussir sa carrière, elle n’aura pas accompli l’essentiel tant qu’elle ne sera pas mariée et qu’elle n’aura pas fondé une famille. Et comme l’essentiel de la réussite se joue entre vingt et trente ans, elles peuvent quitter des emplois où elles évoluaient et qui les épanouissaient pour s’occuper de leurs enfants. Surtout qu’au Maroc, il y encore beaucoup de familles nombreuses. On est plus aux 7 enfants par femme de 1972 mais la moyenne reste toujours à 3.

Le fait d’être un homme ou une femme peut-il jouer dans l’accès aux responsabilités dans les rédactions ?


Dans des journaux comme Nichane ou Tel Quel, absolument pas. Il se trouve que je suis la seule femme à la rédaction de Nichane. Mais si on avait eu une femme compétente, elle aurait parfaitement pu accéder au poste de rédactrice en chef. Ahmed Benchemsi, le directeur du groupe Tel Quel et de la rédaction de Nichane est extraordinaire, il m’a beaucoup aidé et supporté dans ma carrière. C’est un excellent journaliste, un bon chef d’équipe et une personnalité remarquable, rien à voir avec son sexe, une femme pourrait en faire autant.

Rencontrez-vous plus de difficultés quand vous partez en reportage sur le terrain ?
Je couvre des reportages dans le rubrique Société, les complications restent les mêmes. Il faut être audacieuse et poser les bonnes questions. J’ai une collègue à Tel Quel qui a réussi un reportage très courageux en s’introduisant dans un bordel pour vivre avec des prostituées pendant trois jours sous une fausse identité. Même si c’est une femme dans une société arabe encore très attachée à la religion, elle a réussi ce défi. Si je dois partir en reportage dans un quartier très populaire, je me mettrais quand même un petit déguisement. Tout n’est pas encore permis.

Pensez vous être un porte-voix pour les femmes qui ont plus de mal à accéder à des postes importants ?


Ce serait prétentieux de dire que je suis un exemple. Je représente un élément d’une tendance plus profonde. Les professions à responsabilités se féminisent. Mais je suis contre la discrimination positive. Je n’aurais pas envie d’être ministre ou parlementaire, simplement parce que je suis une femme. Le Maroc a voulu accorder en 2001 des places aux femmes en décrétant un quotas de 10% au Parlement. Celles qui ont réussi à gagner sur des listes locales ont obtenu leur poste face à des hommes. Être une femme ne doit pas déterminer nos compétences.

Propos recueillis par Mélissa Bounoua

Des villes sans bidonvilles ?

Voilà la grande enquête publiée dans l’Express édition internationale en janvier.

« Les ruelles de terre, les toits de tôle, la déchetterie à ciel ouvert, Radia ne les verra plus. Elle aurait pu partir depuis longtemps grâce à l’argent gagné par sa petite entreprise de couture. Mais il n’y avait aucune possibilité de louer un logement plus décent. Et accéder à la propriété sans une assise financière importante, elle ne pouvait y compter. C’est à 53 ans qu’elle va enfin quitter le bidonville de Bermoussi à Casablanca. Une chance qui, pour elle, met fin à une situation qui demeure le lot de nombreux marocains.
Entre bidonvilles, habitat clandestin et logements insalubres, ils seraient cinq millions de personnes sur les quinze vivant en milieu urbain à ne pas habiter dans des conditions décentes. D’où la priorité donnée par Mohammed VI à la lutte contre la pauvreté, notamment dans le cadre de l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain), le « grand chantier de règne » annoncé en mai 2005 et lancé à coups d’inaugurations royales dans tout le royaume.

img_3223.jpgSi les médinas témoignent d’une longue tradition marocaine en matière d’urbanisme et d’architecture, c’est une toute autre histoire s’agissant du logement social. Le concept en a émergé en 1999 seulement dans le pays. Et la production de ce type de logement n’est pas encore tout à fait rôdée. Malgré des efforts notables. Soucieux de favoriser l’accès au crédit bancaire des populations les plus précaires, l’Etat a notamment constitué des fonds de garantie. Crée en 2004, le Fogarim (Fonds de Garantie pour les revenus irréguliers et modestes affecté aux logements sociaux) décolle réellement aujourd’hui. Son objectif – 30 000 prêts par an – est jugé accessible par les spécialistes. «Le démarrage de ce fonds a été problématique, mais désormais un marchand ambulant peut accéder à la propriété d’un logement sans épargne préalable», assure Taoufik Hejira, le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme dont les services «travaillent directement sur la pauvreté». Un autre fonds de garantie créé par l’Etat, le Fonds Solidarité Habitat, repose, lui, sur une idée simple : utiliser, essentiellement par le biais d’une taxe sur le ciment, les ressources engrangées par la croissance du secteur du bâtiment pour financer des travaux de rénovation de l’habitat insalubre.

Premier propriétaire foncier du pays, l’Etat a mis également 9400 hectares à disposition des promoteurs, privés et publics, pour construire de grands projets d’habitat et d’urbanisme. Une initiative opportune pour un secteur qui a toujours manqué de terrains disponibles au sein des grandes villes.
Mais c’est sans doute le très médiatisé programme Villes sans Bidonvilles qui symbolise le mieux la lutte gouvernementale contre l’habitat précaire. Lancé en 2004, ce projet de 2 milliards d’euros vise à l’éradication de tous les bidonvilles en 2010. Sur 68 projets lancés, 26 ont été achevés, sortant quelques 400 000 marocains de leurs taudis. Si, comme l’admet Taoufik Hejira, le programme « ne marche pas encore sur des roulettes », huit agglomérations, dont Meknès, Khoribga, Beni Mellal et Azrou, ont déjà pu être déclarées «Villes sans Bidonvilles» en 2007.

img_3227.jpgReste que les mesures prises par le gouvernement connaissent des limites très claires. L’aide fournie par les différents fonds de garantie s’avère souvent insuffisante pour permettre à ceux qui en ont besoin d’accéder à un logement social. Les bénéficiaires du FOGARIM doivent en effet fournir une avance de 20 000 à 30 000 dirhams (2000 à 3000 euros) pour réserver leur place dans un projet, une dépense que le fonds gouvernemental ne couvre pas. C’est alors à la société civile de prendre le relais, notamment par le biais des associations de micro crédit. La Fondation Zakoura micro-crédit a ainsi créé en 2004 le prêt logement, qui permet aujourd’hui à Radia, bénéficiaire du Fogarim, d’accéder à un logement plus grand, et de quitter le bidonville de Bermoussi. Mais beaucoup ne connaissent pas l’existence de ce micro crédit supplétif souvent indispensable.

La répartition géographique des programmes de logements sociaux constitue un autre problème majeur. Cinq des seize régions du pays en concentrent plus de la moitié. Tête de liste, le Grand Casablanca bénéficie du plus grand nombre de projets. Ce déséquilibre dessine en creux les oubliés de la ruralité dont l’exode est à l’origine de l’engorgement de zones urbaines déjà surpeuplées. Pour Leïla Akhmisse, directrice du développement de la Fondation Zakoura micro crédit, la seule issue pour sortir de cette impasse, «c’est la construction en milieu rural », qui pour l’instant n’est pas assez valorisée.
La sécurité des logements sociaux constitue un autre casse-tête, comme l’admet Taoufik Hejira lui même. Certes, le système est théoriquement immunisé grâce à des procédures de construction très verrouillées. Mais la présence des pouvoirs publics varie très fortement d’une ville à l’autre. Et par là même le respect des normes en vigueur.
Mais c’est surtout en matière d’accompagnement social que le bât blesse. Nombreux sont les individus qui refusent de quitter leur baraquement au profit d’un logement. En invoquant toujours les mêmes motifs : la perte des liens sociaux qui unissent les habitants des bidonvilles, la petitesse des logements proposés, l’absence de transports, de crèches, de dispensaires…Si le programme Villes sans Bidonvilles, qui concerne 83 villes, a fait preuve d’une certaine efficacité dans l’éradication de nombreux baraquements et dans la reconstruction, l’accompagnement social de la population laisse à désirer alors qu’il est décisif pour éviter la reconstitution des bidonvilles. Les associations auxquelles cet accompagnement est sous-traité – c’est l’innovation majeure de l’INDH – sont encore trop peu nombreuses. Dans la municipalité de Tétouan par exemple, seules deux personnes coordonnent les aspects sociaux de la quinzaine de projets en cours. Les autorités n’ignorent pas cette faiblesse, mais aucune solution réelle n’a encore été mise en oeuvre à l’échelle nationale.

Une autre difficulté ralentit le relogement des bidonvillois : le prix d’accession à la propriété. Théoriquement, le logement social ne doit pas dépasser les 100m2 et les 200 000 dirhams (20 000 euros). Dans les faits, le prix de vente peut être bien plus élevé. Principaux responsables: l’attrait spéculatif du secteur et le développement de pratiques commerciales malsaines. La pratique des dessous de table tout au long de la chaîne est telle que certains observateurs n’hésitent pas à évoquer une « mafia du logement social ». Cela peut aller du commercial, qui réclame en moyenne 4000 DH (400 euros) pour réserver un logement, au promoteur, qui annonce des prix supérieurs aux 200 000 DH légaux et en fait supporter le surplus à l’acquéreur. Atteignant parfois 80 000 à 120 000 DH, la somme est impossible à réunir pour une population très faiblement bancarisée, et dont le revenu mensuel moyen s’élève à 845 dirhams (84,5 euros) par mois.

Soucieux de donner un coup de pouce à la construction dans ce secteur, l’Etat avait pourtant consenti aux promoteurs d’avantageuses exonérations fiscales. Seule condition pour y avoir droit : la construction dans plusieurs régions d’un minimum de 2500 unités sur cinq ans. Mais aujourd’hui, le secteur est en plein boom et la tentation est grande de bâtir plus, et donc plus cher, pour les classes moyennes que pour les très pauvres. Début novembre, l’Etat est donc revenu partiellement sur une mesure incitative qui, au fil du temps, a pris l’allure du cadeau fiscal. Désormais, les promoteurs ne seront plus exonérés de l’impôt sur les sociétés, mais se verront appliquer un taux inférieur à celui du droit commun. «Simple retour à l’équité fiscale», estime le gouvernement. « Coup dur porté au secteur », se lamentent les promoteurs. Fadoua Ghannam, journaliste spécialisée dans ces questions à la Vie Economique, n’y voit que des « protestations de façade (…) qui ne changeront rien à l’investissement dans un secteur hautement spéculatif».
Trois ans après le lancement de l’INDH, le logement social risque-t-il de ne pas toucher sa cible du fait de la corruption, des dessous de table ou de la spéculation foncière ? Depuis longtemps, les bidonvilles ne sont plus l’apanage des plus pauvres. «Seuls 20% des bidonvillois sont vraiment des pauvres. Les autres, petits fonctionnaires, policiers, enseignants, y vivent par défaut car le marché ne produit pas de logements appropriés», estime Taoufik Hejira. Une estimation qu’une visite sur le terrain a vite fait de confirmer. Dans le bidonville de Bermoussi, la tôle ondulée rappelle de l’extérieur la nature du lieu. Mais l’intérieur des baraques n’est pas loin de faire penser à des logements ordinaires.

img_3235.jpgFace à une situation difficilement tenable à long terme, l’Etat dispose de quelques leviers, au premier rang desquels une action sur l’offre immobilière qui consisterait à favoriser le développement d’un secteur en crise : le moyen standing. Car entre le logement social et le luxe, il n’y a rien. Ou presque. Du coup, faute d’une offre suffisante, les classes moyennes se déversent sur l’habitat social. Le ministre de l’Habitat a donc récemment invité les opérateurs du secteur à s’engager dans une stratégie de « diversification de l’offre ». Cela suffira-t-il ? Certains en appellent à une véritable politique étatique en la matière, qui passerait notamment par la mise en place de carottes fiscales, ou encore par la mise en valeur du locatif. Un secteur quasi-inexistant dans le royaume faute d’un cadre juridique adéquat. Et, dit-on, d’un problème culturel qui pousserait les Marocains à ne vouloir être que propriétaires.

Manque d’accompagnements sociaux, inadéquation entre le rythme des démolitions des bidonvilles et celui du transfert de leurs habitants, corruption, spéculation financière…Parfois, les difficultés semblent insurmontables. Mais une rencontre avec des habitants d’un programme de logements sociaux suffit à percevoir une autre réalité. Depuis août, Aïcha est propriétaire d’un 36m2 d’une valeur de 140 000 DH ( environ 13 000 euros) à Madinati. Elle y vit avec son mari. Pour rembourser ses prêts, elle multiplie les petits boulots. Pourtant, souriante, elle répète à qui veut l’entendre « hamdoulilah, la vie va mieux ». »